Préface du livre d'Éric Zecchini

Dans un contexte de globalisation des marchés, de digitalisation massive des sociétés, d’innovation permanente, d’accélération accrue de l’information et du fait de la loi des rendements croissants, un poids considérable pèse sur le monde de l’entreprise à tous les niveaux de son organisation. La course à l’adaptation et à la réussite crée un emballement inégalé sur fond de guerre des compétences. L’individualisme forcené, le scientisme technicien, les crises successives et la propension à l’ubérisation renforcent ce phénomène. Ainsi, même au sein de sociétés prospères, on peut craindre le harcèlement, craindre de perdre son emploi et vivre continûment avec un sentiment d’insécurité. L’informatisation massive et la montée en puissance de l’intelligence artificielle intensifient ces tensions car elles laissent entrevoir un avenir incertain, cause d’inquiétudes et autres perturbations émotionnelles.

 

Même délivré de ces causes apparemment extérieures, l’esprit humain possède l’aptitude à stimuler des désirs perturbateurs dont l’incidence négative retentit dans son environnement immédiat. La violence faite aux femmes dans le secteur professionnel en est un triste exemple. Où sont donc les vraies richesses ? Il y a bien des joies pour lesquelles nous vivons et qui suffisent à nous combler. Mais combien difficile est l’exercice de vivre quand les difficultés existentielles s’amoncellent. Car nous manquons, dès notre plus jeune âge, d’une éducation spirituelle sans dogme et sans morale moralisatrice. Je veux parler d’une éducation enracinée dans la vie de tous les jours. Une éducation capable de nous aider à percevoir le caractère hautement précieux de l’existence et ainsi nous permettre de cultiver le meilleur de nous-même. À la lumière d’un tel cheminement, nous parviendrions sans doute à trouver en nous-même les ressources nécessaires pour tenter de transformer les difficultés en énergie de sagesse.

 

Avec L’esprit du bouddhisme en entreprise, Éric Zecchini nous présente un chemin spirituel ancré dans le terreau des activités journalières, dans la vie professionnelle et la vie privée. C’est là sans doute l’une des grandes réussites de son ouvrage. Le bouddhisme est présenté comme l’une des aventures majeures de l’esprit, apte à répondre aux besoins fondamentaux de l’être humain, comme l’amour et la paix.

 

Dans un langage clair, frais, direct et parfois drôle, étoffé d’exemples très parlants, l’auteur réussit la prouesse d’expliciter la nature et la fonction des enseignements du Bouddha. Il en révèle la profondeur, la pertinence et la modernité en décryptant des notions complexes. Il offre aussi une approche très pragmatique des pratiques à mettre en œuvre pour se libérer des schémas mentaux négatifs dans lesquels nous risquons de nous enliser. La structure même du livre met en lumière la richesse de ces enseignements qui prennent la forme d’une cartographie précise et rigoureuse de l’expérience humaine.

 

De la connaissance du fonctionnement de l’esprit découle des séries de méthodes opérantes permettant de surmonter les errances du mental. C’est pourquoi Éric Zecchini a mis en exergue l’entraînement de l’esprit, un ensemble d’instructions permettant de s’observer sereinement et de se corriger sans pour autant se juger. L’entraînement repose sur l’acceptation d’un grand dénuement, la solitude du retour à soi, l’art aussi de laisser derrière soi l’ego et ses représentations, croyances et certitudes. Dès lors, que voyons-nous ? Un amas de discours intérieurs, de ressentiments, de jugements, de souvenirs, d’espoirs, la volteface des pensées chevauchant nos misères, nos craintes et nos aspirations. Mais ce gain de discernement offre surtout la possibilité de prendre le recul nécessaire à l’abandon de tous ces recouvrements. Et cet abandon amorce la reliaison au silence, à la clarté et à la tranquillité à demeure.

 

La pratique méditative est associée à ce processus. Elle permet de ressentir et de développer l’expérience de clarté radieuse et de quiétude. Alors, il devient possible d’intégrer progressivement tous les aspects de l’existence dans le creuset de cette simplicité naturelle. Le regard sur la vie s’en trouve changé. La compréhension de soi s’approfondit ; la lucidité et l’attention bienveillante sont décuplées ; les mécanismes de l’existence deviennent plus limpides. On se met à fouler un chemin sans fin tant nous paraît sans limite l’aventure de l’esprit qui demeure avant tout l’aventure de vivre.

 

Ce qui importe le plus finalement est de ressentir l’ouverture que nous pouvons éprouver en ce moment même : vous, en lisant ces lignes ; moi, en écrivant ces mots. Cette expérience personnelle et commune, cette présence consciente et pleinement ouverte est le seuil d’un renouveau en lequel se dissolvent spontanément tous les narrateurs. Alors en nous et à travers nous, délivrés des « toi » et des « moi », le monde s’incarne pleinement et nous allons véritablement à la rencontre des autres. C’est là, me semble-t-il, le cœur même de ce livre : inviter chacun à cette rencontre véritable avec soi, rencontre en laquelle se trouve les conditions favorables à l’ouverture aux autres.

 

L’esprit du bouddhisme en entreprise participe enfin au questionnement relatif à l’efficience des pédagogies traditionnelles dans le contexte de la modernité occidentale. Ce livre nous interpelle sur l’avenir d’une telle voie spirituelle en dehors des institutions qui la préservent et la transmettent. Le titre lui-même semble un clin d’œil à ce type de questionnement.

 

Ceux et celles qui suivent la voie tracée par le Bouddha trouveront dans cet ouvrage une précieuse nourriture pour ancrer leur compréhension et leur ressenti dans l’expérience crue de la réalité quotidienne. Les autres, sympathisants ou simplement curieux de ce que le bouddhisme peut apporter au management, découvriront une source d’inspiration féconde. 

 

Alain Grosrey

 

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