Biocarburant et huile de palme, une rationalité irrationnelle

 

Article n°9

Depuis les années 70, la production d’huile de palme n’a cessé d’augmenter passant de 2 000 tonnes à 70 000 tonnes annuelles. L'exploitation se concentre en Asie du Sud-Est, en Malaisie et surtout en Indonésie. On sait les ravages qu’elle occasionne sur les dernières forêts tropicales primaires, les peuples autochtones et la faune dont les populations d’orangs-outangs et de gibbons. Cette huile végétale entre dans la composition des cosmétiques, de l’alimentation humaine et animale, et celle des biocarburants.

L’autorisation délivrée à Total d’ouvrir une « bioraffinerie » dans les Bouches-du-Rhône permettrait de produire 500 000 tonnes par an de biodiesel à base d’huile de palme. Cette décision soulève un problème éthique. On comprend le mécontentement des ONG environnementales et la position des agriculteurs français soucieux de défendre la production locale d’huile de colza.

 

Outre les conséquences dramatiques d’une telle politique sur le climat et la dévastation du monde vivant, l’événement révèle la persistance du paradigme occidental formulé par Descartes au XVIIe siècle : séparer le sujet et l’objet. On connaît toutes les déclinaisons qui s’en sont suivies : matière/esprit, liberté/déterminisme, moi/monde, nature/culture... La langue traduit une vision d’un mode d’existence en lequel la préservation de l’espèce humaine légitime l’exploitation des éléments naturels. Une telle vision prive le monde vivant de sa valeur intrinsèque au profit de sa valeur instrumentale.

 

L’ambiguïté de la situation apparaît dans les paradoxes qu’elle génère. On parle de biocarburant (bio = la vie) alors même que la production d’huile de palme est mortifère. On agit sous couvert de rationalité sans reconnaître les limites de nos logiques voire les impasses dans lesquelles elles nous entraînent. On suit ainsi le sillon du mythe du progrès sans reconnaître les faiblesses d’une raison qui occulte la souffrance du monde sensible et l’affection pour tout ce qui est vivant. En bref, notre rationalité prend essentiellement en considération les besoins des êtres humains. En cela, elle se montre irrationnelle.

 

Pour faire contrepoids à une telle disjonction, une éducation holiste s’avère indispensable. À l’échelle d’une réforme intérieure, la lecture de la courte nouvelle L’Homme qui plantait des arbres de Jean Giono nous incite à des actions positives, fussent-elles infimes. L’essai de Jacques Tassin, Penser comme un arbre (Odile Jacob, 2018), réveille la mémoire de notre lien indéfectible avec les arbres. Shinrin Yoku – L'art et la science du bain de forêt – Comment la forêt nous soigne (First, 2018) nous rappelle notre amitié profonde avec la forêt. Et pour aller plus loin dans la démarche, les œuvres d’Arne Næss (1912-2009), philosophe norvégien et fondateur de l’écosophie, élargissent notre représentation du monde. Voir en particulier, Une écosophie pour la vie (Seuil, 2017).

 

© Alain Grosrey, juin 2018 

# Voir le reportage de mon ami Bernard Genier, grand reporter à la Télévision Suisse Romande.

# Pour aller plus loin et examiner la relation avec nos modes de consommation.


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