En appeler à sa conscience

Pratique de la non-violence  Se détourner de la sauvagerie

 

Article n°7

"Mal nommer les choses, jugeait Camus, c'est ajouter au malheur du monde". Plus l'animal est loin de nous, plus il est déréalisé, plus il perd son statut d'être vivant. Dans la langue, on enracine des confusions qui rendent la maltraitance structurelle. Les fêtes de fin d'année constituent l'apothéose de ces confusions. 

Tradition, gastronomie, patrimoine

"L'élevage de lapin est une tradition qui existe depuis des siècles. Et la cage qui est tant décriée remonte à plusieurs siècles également. Les lapins ont toujours été élevés dans des cages qu'on appelait "clapiers". Cela repose sur une tradition et une gastronomie qui sont notre patrimoine." Ainsi s'exprime un des responsables de l’inter-profession du lapin. Pour les canards, il en va de même.

 

La tradition n'est pas la coutume. Quant aux coutumes nourries d'habitudes parfois irréfléchies, il y aurait beaucoup à dire quand elles se fondent sur le postulat de notre supériorité et de notre droit à dominer. Le mot "tradition" est galvaudé dans l'industrie agro-alimentaire. Au vrai, la tradition est souvent associée au mot "sagesse" pour désigner l'ensemble des moyens qui donnent accès à l'harmonie, la bienveillance, la paix et la quiétude au niveau le plus profond.

 

Ne pourrait-on pas repenser le patrimoine culinaire et la gastronomie en dehors des violences qu'ils induisent ? Sans doute faut-il sans cesse répéter la question pour faire bouger un peu les lignes de partage entre le juste et l'injuste, le raisonnable et la cruauté.

 

 

Clin d'œil à Diderot 

Les arguments des défenseurs de l'élevage en batterie ressemblent fort à ceux des esclavagistes que dénonçait Diderot dans sa Contribution à l'"Histoire des deux Indes" de l'abbé Raynal (1780). "L'élevage de lapin est une tradition" clame haut et fort lesdits défenseurs. Mais ne serait-ce pas là l'application du droit du plus fort ? Sans doute... Et Diderot d'ajouter par l'intermédiaire de son narrateur, un esclave : "Mais, dit-on, dans toutes les régions ou dans tous les siècles, l'esclavage s'est plus ou moins généralement établi". Oui, ce n'est pas qu'une rumeur, dirait-on à l'esclave. Les gens disent vrai savez-vous, car au nom de la coutume, les colons ont décidé que, etc.

 

Mais revenons aux animaux enchaînés et violentés. La coutume doit-elle légitimer une telle pratique ? Cette pratique relève-t-elle vraiment du domaine de la tradition ? Si les lapins, les canards et les oies avaient la parole, ne pourraient-ils pas reprendre la question de l'esclave : "Est-ce aux usages du temps ou à sa conscience qu'il faut en appeler ?" 

 

 

De la perte du sens à la conscience

S'imposer... toujours s'imposer. Prendre le contrôle. Dans le couple d'abord, au travail, dans la vie en général. Même si ce n'est qu'une propension, il nous est difficile de la reconnaître. Quelle est donc la finalité d'une telle posture ? Métaphore de la fausse volonté de puissance, besoin inaltérable de pouvoir qui donne lieu à des micro-facismes à l'encontre des animaux d'élevage. Qui ne dit rien consent. Ce n'est pas faux de l'avouer.

 

Victimes de cette indifférence qui nous fait glisser sur la pente de la perte de sens, les animaux malmenés et gavés vont lentement à la mort dans le vacarme des abattoirs. Infernale domination, triomphe d'une certaine gastronomie, justifications ritualistes pour un massacre de masse. Ce n'est pas culpabiliser l'homme que de l'écrire, que de le dire tout haut. C'est simplement voir en face cette tendance à ne faire qu'accroître le malheur des êtres. Nous n'avons donc pas besoin de rechercher du sens mais bien d'accroître la conscience et la bienveillance.

 

Pour se décaler de nos habitudes et de nos schémas mentaux, reconnaître finalement que les animaux sont des êtres sensibles, juste se demander : "Quel effet cela fait d'être un canard, une oie, un lapin, un cochon, une vache ?"

 

 

© Alain Grosrey, 02 décembre 2017 

 



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