Des paysans heureux en Suisse

 

Article n°10

Une ferme familiale, des paysans qui aiment leur travail, vivent en symbiose avec leur milieu et la croissance naturelle des choses. La séquence vidéo en fin d'article est extraite des campagnes de communication menées par "Swissmilk", la Fédération des Producteurs Suisses de Lait (PSL).

À proximité du lac de Bienne où Rousseau se plaisait à herboriser et à méditer, on semble bien loin de la zootechnie qui réduit les animaux au silence. Loin aussi de la violence des fermes usines et du machinisme qui ont transformé les vaches en laboratoires vivants et les paysans en exploitants agricoles. Acculés au désespoir, nombre d'exploitants français s'abandonnent au suicide.

 

En évinçant l’un de nos principaux socles culturels - la civilisation rurale -, nous avons négligé une mémoire et un patrimoine où s’alimente notre atavisme paysan. Nous avons aussi déraciné l’affection pour un animal qui était l’un des centres de l’activité populaire d’antan. Finalement, nous avons parachevé l’abolition d’une certaine forme de « civilisation de la vache ».

 

À l'heure de la dévastation du monde vivant et du réchauffement climatique, la réduction de la consommation de viande et autres produits d'origine animale aurait un effet très positif (1). Or le marché mondial de la viande bovine (2) ne cesse de croître. La demande chinoise est exponentielle.

 

En Europe, les revendications des associations environnementales commencent à se faire entendre pour mettre fin à l'élevage intensif. Quel que soit le contexte, elles sont en tout point légitimes. À l'échelle mondiale, la transition alimentaire et agricole semble une gageure. Les intérêts particuliers dominent et prospèrent sur une condition animale oubliée et des considérations éthiques délaissées.

 

La Suisse fait parfois figure de modèle. Dans le Valais, j'ai retrouvé des images d'enfance : celles du retour des hauts pâturages du Jura ; celles de l'étable familiale quand nous allions caresser les vaches au moment de la traite. Nous avancions à pas lents, nous conformant à la joliesse des roulements musculaires qui ponctuent la lente progression des vaches. Ressentir l’absence de tension est un laisser être qui nous rend plus libres. Le terme latin vacca, qui sert à désigner la vache, porte ce ressenti. Sa racine vac exprime l’idée de vide. Une idée incarnée en français dans vacantvacancevaquer. En laissant s’épancher la vacance en nous, nous gagnons un plein allègement de l’être.

 

En plus des engagements actifs salutaires, nous aurions sans doute besoin de cultiver une posture intérieure pour goûter l’expansion illimitée et positive de la conscience. C'est avec la nostalgie de cette posture oubliée qu'Alain Finkielkraut a écrit L'éclipse de la nature (3). À cette modernité parfois déconcertante, Jean-Loup Trassard, écrivain presque invisible, dit tout le bien des outils et des gestes de la tradition ancestrale. Il célèbre surtout la Terre et rend hommage aux vaches, ces « grands corps lents, chauds comme des demeures [qui] dorment, respirent, se lèvent et marchent parmi nos pensées » (4). Sans doute est-ce ce "sentier des vaches" que la famille Kilchsperger-Rotzler de Sonvilier, dans le canton de Berne, se plait aujourd'hui à arpenter.

 

 

© Alain Grosrey, octobre 2019

 

  1. Voir l'étude publiée dans la revue américaine Nature (n°562, 2018) et le rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
  2. Le marché mondial de la viande bovine. Année 2018. Perspectives 2019 (Dossier Économie n° 500 - Juin 2019)
  3. Chapitre 8 de Nous autres, modernes, Ellipses / École Polytechnique, 2005.
  4. Nous sommes le sang de cette génisse, Gallimard, 1995.

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